Connu sous le surnom de "Dédé la Sardine", qui dit toute la truculence et la dimension aventurière du personnage, André Guelfi vient de mourir, en ce 28 juin 2016, à l’âge de 97 ans. Citoyen français né à El Jadida (Mazagan), "Dédé la Sardine" a laissé une trace indélébile à Agadir. Son surnom lui vient de son investissement dans la pêche à la sardine : il mit au point le premier bateau-usine qui industrialisa cette activité. Son bateau "Clupea", ce qui signifie "sardine" en latin (photo - le cercle jaune représente André Guelfi), pouvait traiter 100 tonnes par jour de congelés prêts à la vente et 1'000 tonnes par jour de farine de poisson.
Outre une flottille de bateaux de pêche, André Guelfi posséda deux usines de conserves, une usine de farine de poisson et une usine de congélation ultramoderne. Selon ses dires, il aurait employé jusqu'à 3'000 ouvrières.
Fin 1947, le jeune André Guelfi (notre photo) se marie avec une riche et belle Française, Renée, fille de Fernand Barutel, "roi d'Agadir" sous le Protectorat et fondateur de la SATAS (Société Anonyme des Transports Automobiles du Souss).
Vainqueur du Grand Prix d'Agadir 1953
Dans les années cinquante, Agadir s'enorgueillissait d'accueillir un Grand Prix international de vitesse, Grand Prix de Formule 1 de l'époque. La première édition s'est déroulée en 1951. Le départ était donné sur l'actuelle avenue Mohammed-V.
André Guelfi brillait sur les circuits automobiles. Il remporta, entre autres, le Grand Prix d'Agadir 1953, y ayant porté un casque arborant l'étoile chérifienne (photo). Sa passion pour les courses de voitures, il l'avait développée durant la Seconde guerre mondiale, alors qu'il était incorporé comme chauffeur dans un régiment de tirailleurs marocains.
Séducteur, mais aussi marginal, Dédé la Sardine a connu une trajectoire unique dans le monde des affaires lui qui, à dix ans, montrait déjà des prédispositions en conduisant les touristes en auto sur la plage.
D'Agadir à Lausanne
Protégé du roi Mohammed V et du futur général Oufkir, il voit son premier empire s'effondrer largement le 29 février 1960, lors du séisme d'Agadir. Guelfi part alors pour la côte la plus poissonneuse du monde, en Mauritanie. Il reconstruit une flotte et des usines à Port-Etienne, l'actuel Nouadhibou. Il s'était placé sous la protection du président Moktar Ould Daddah. Mais, à la suite d'une affaire de corruption, il doit fuir la Mauritanie.
Il perd aussi son pays d'adoption, le Maroc, quand le général Oufkir connaît une mort dramatique en 1972, lors de la fameuse tentative de coup d'état dit des aviateurs, dont il a été l'instigateur. Hassan II, qui a fait preuve d'un sang-froid extraordinaire dans la cabine de l'avion censé le tuer (photo), persécute la famille Oufkir et poursuit «Tonton Dédé» .
Entre-temps, André Guelfi a foncé dans l'immobilier à Paris, en rachetant trois palaces. Son savoir-faire et ses relations personnelles lui permettent d'acquérir plus de 100 immeubles dans la Ville lumière.
Quatre ans plus tard, il s'arrête en Suisse, à Lausanne, dans une maison de maître qu'il revendra plus tard au Comité international olympique (CIO) et qui abritera le siège de l'organisation. Il se lie d'amitié avec Juan Antonio Samaranch, président du CIO, et rachète le Coq sportif. Ces péripéties, il les raconte dans une autobiographie nommée "L'original".
Dossiers troubles
Etait-ce son ascendance corse ? Toujours est-il qu'intervenant en qualité d'intermédiaire rémunéré en vue de l'obtention de grands contrats internationaux, il est mêlé à des dossiers troubles, comme le financement illégal de la CDU allemande.
S'étant toujours présenté comme l’un des personnages clés ayant permis à la Russie d’obtenir les Jeux olympiques de 1980, "Dédé la Sardine" a raconté comment Elf a refusé de le dédommager à la suite de la conclusion d'un contrat de vente de pétrole pourtant très avantageux pour ce groupe. En 2003, l'affaire occasionne à André Guelfi (photo) une condamnation à trois ans de prison, dont 18 mois avec sursis, et une amende de 1,5 million d’euros. L'ancien pilote rencontre alors Bernard Tapie dans les couloirs de la Santé.
Entrée en scène de Françoise Sagan
Quelques années plus tôt, en 1991, André Guelfi propose un marché à une proche de François Mitterrand, Françoise Sagan. La romancière l'accepte, séduite par le romanesque des truands. L'écrivain intervient en faveur d'Elf auprès de son ami le président de la République.
En échange, on ne lui facture pas des travaux importants effectués dans son manoir normand du Breuil et elle ne déclare pas ce cadeau au fisc. Lorsque l'affaire Elf éclate, Dédé la Sardine balance Sagan, et le fisc la rattrape... Pour l'auteur de "Bonjour tristesse", la sentence est sévère. Tous ses biens sont vendus, jusqu'à ses bijoux.
Vu son âge avancé...
Finalement, dans l'affaire Elf, le tribunal décide de ne pas réincarcérer "Dédé la Sardine", vu son âge avancé. De même, André Guelfi est relaxé dans l’affaire de la société Technip qui obtint, grâce à ses bons services, la construction d’une raffinerie en Ouzbékistan. Récemment, son nom avait été cité par "Le Monde" dans l’affaire des "Panama Papers".
Sa dernière demeure aura été la très chic petite île de Saint-Barthélemy, dans les Antilles, où il a rendu le dernier soupir, au terme d'une destinée hors du commun.