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Photo du rédacteurJean-Luc Vautravers

A 22 ans, Nicolas de Staël rencontre sa muse au Maroc


C'est l'un des plus grands peintres français du 20e siècle. Il est aujourd'hui complètement reconnu : ses œuvres atteignent jusqu'à 20 millions d'euros. D'origine russe, né baron, contraint de fuir le régime bolchévique de sinistre mémoire, Nicolas de Staël séjourna au Maroc en 1935 et en 1936, puis en 1951. Il a 22 ans quand, à Marrakech la légendaire, puis à Essaouira la juive sous le vent, il rencontre celle qui sera sa muse et sa compagne durant dix ans : Jeannine Guillou, dont il peindra le portrait en 1941 et 1942.

Grande, le visage long comme un Gréco, Jeannine est alors mariée à l'artiste polonais Olek Teslar. Lorsque le coup de foudre éclate avec Nicolas de Staël, elle surgit du Sud marocain, alors quasiment interdit aux étrangers par des tribus berbères insoumises.


Peintre elle aussi, signant ses œuvres du nom de Janine Teslar, elle règne sur un petit groupe hétéroclite d'artistes et d'accompagnants autochtones, hippies avant l'heure, flanqués d'un âne et d'une mule, qui sillonnent les pistes du Sud depuis des années. Ils en connaissent tous les recoins. Après avoir vécu sous une tente aux abords de Marrakech, la petite troupe finit par louer un palais abandonné dont, nous dit-on, "la terrasse surplombe la ville". Je n'ai toutefois pas réussi à savoir où se situait exactement ce palais.

Jeannine se range plutôt dans le courant classique, influencée par le cubisme, comme dans cette aquarelle représentant le douar de Toukelhir. A la même époque, Majorelle campe ses célèbres ksour sur des sites semblables. A Fès, un critique a couvert Jeannine d'éloges, louant son talent "viril et nerveux".


Jeannine a cinq ans de plus que Nicolas. Olek Teslar lui a rendu sa liberté, non sans style ni grandeur. Elle forme avec Nicolas un couple "passionné, violent et tendre", qui vit chichement et dans lequel, plus mûre, elle est le dominateur. "Staël lui doit tout sauf son talent, elle l'a cultivé", assure Bernard Dorival. Il est tentant de voir dans l'épisode marocain la source de la lumière qui inonde les œuvres de Nicolas de Staël, dans un "corps à corps passionné avec la matière, avec la couleur", selon la formule de Marie du Bouchet dans son livre "Une illumination sans précédent".


De retour au Maroc en 1951, l'artiste est happé par l'attraction de Tanger, comme l'a été Matisse avant lui

Il peint une magnifique huile, "La ville blanche Tanger" (première photo), qui constitue autant un hommage à la cité du Nord qu'une recherche esthétique sur les différentes teintes du blanc. Si Marrakech, Essaouira et Tanger ont contribué au parcours de l'artiste, d'autres contrées l'ont inspiré. Telles la Côte d'Azur, celle d'Opale, la Toscane, et la Sicile, comme dans ce "Paysage" de la deuxième photo, qui représente Agrigente. Il n'a pas été insensible non plus à la dimension maritime, d'où ses "Bateaux" (troisième photo) pour lesquels je nourris beaucoup d'admiration.

Jeannine disparaît en 1946. Neuf ans plus tard, à 41 ans, fragile et torturé, Nicolas de Staël se suicide à Antibes, laissant inachevée une grande toile, peut-être celle de sa vie, intitulée "Le Concert". Il est demeuré bouleversé par un concert du compositeur autrichien Anton Webern. Nicolas de Staël nous laisse sa toile au piano, censée faire écho à tous nos sens. "Je veux que l'œil entende", avait-il lancé. A y regarder de près, pari tenu, à mon avis. Sur six mètres de long et trois mètres cinquante de haut.

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