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Le riad du terrible caïd Bouchaib qui commandait Ouled Teima sous le Protectorat existe toujours

Dernière mise à jour : 19 févr. 2022


Sous le Protectorat français, la région de Houara dont Ouled Teima est le centre était placée sous l'autorité d'un caïd nommé Bouchaïb Ben Elkorchi Hilale. Celui-ci a laissé un souvenir contrasté, voire terrible, à Ouled Teima, ainsi qu'un immense riad, situé au centre de la ville. Cette imposante construction, dont on voit ici une tour, est toujours debout. Sa présence surprend dans cette cité laborieuse, peuplée d'ouvriers agricoles travaillant dans les fermes d'agrumes de la région.

Du temps du Protectorat, Ouled Teima était un petit village. Le riad du caïd trônait en son centre, si l'on peut dire, puisqu'aucune construction n'était visible alentour. Notre photo permet toutefois de distinguer, à gauche, la mosquée, qui existe toujours. En face du riad du caïd, de l'autre côté de la route, on voit les premières boutiques de ce qui allait devenir le souk d'Ouled Teima.

Le village des années 50 est devenu aujourd'hui une ville de 80'000 âmes, qui s'est modernisée. Le riad du caïd Elkorchi est entouré de toutes parts de constructions contemporaines. Il est donc difficile à identifier. Mais il suffit de se balader dans les rues situées juste au nord de l'avenue principale pour en apercevoir les hauts murs.


Les habitants d'Ouled Teima, qui ont des préoccupations plus terre-à-terre que la sauvegarde du patrimoine, cheminent et commercent au pied de ces murailles historiques sans s'en soucier le moins du monde. Ils se demandent sans doute pourquoi un visiteur européen prend la peine de photographier cette ruine à leurs yeux sans intérêt...


Querelles familiales


Il n'existe à ma connaissance nulle part de mention écrite de ce riad. Selon les renseignements que j'ai recueillis, cette énorme bâtisse appartient à des privés, en l'occurrence la famille d'Abdeslam Balaska et de son fils Abdelatif, qui l'a mise en vente. L'état de l'édifice nécessiterait des travaux fondamentaux, sur une superficie d'un ou deux hectares.


Selon d'autres sources, le riad d'Ouled Teima serait la propriété du domaine public, comme d'autres biens ayant appartenu à des caïds et des pachas de cette période-là. Rien n'aurait été entrepris depuis lors, en raison de la volonté prêtée à l'Etat d'effacer toute trace de cette époque soumise à controverse.

Les couleurs françaises


Né en 1893, à Azemmour, près de la nouvelle station de Mazagan, Bouchaïd Elkorchi Hilale a été nommé caïd des Houara en 1927, soit à l'âge de 34 ans, par le sultan Moulay Youssef, père de Sidi Mohamed, devenu par la suite le roi Mohammed V. Le sultan Moulay Youssef avait d'ailleurs été reçu un an plus tôt à Agadir.


Avant même le Protectorat, Bouchaib Elkorchi sert comme officier dans l’armée chérifienne. Il défend les couleurs françaises durant la guerre 14-18. Il y est plusieurs fois blessé. Sa bravoure est récompensée par la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Il en deviendra grand officier. Issu Major de la première promotion de l’Ecole militaire de Dar Beida, selon le site officiel qui lui est encore consacré aujourd'hui, "il participe brillamment aux diverses campagnes de la pacification".


En tant que caïd de la tribu des Houara, toujours si l'on en croit son site officiel, "il n’a cessé de déployer (...) les plus remarquables qualités d’administrateur." Propriétaire d'immeubles à Agadir, il participe même au Conseil du gouvernement et deviendra grand officier du Ouissam alaouite.


Une ruse


Quand Bouchaib Ben Elkorchi Hilale fut nommé caïd des Houara, il réunit les notables du coin et les invita à une partie de chasse pour le dimanche d'après. Tous furent heureux d'y participer, montrant ainsi être bien en cour. Ils amenèrent leurs armes avec eux dans le patio du riad du caïd. Ce dernier les invita alors à déposer leurs fusils, aidé par des militaires français. Les autorités purent ainsi récupérer une grande partie des armes à feu qui circulaient dans la région. A cette époque, celle-ci était encore agitée. La partie de chasse n'eut bien sûr jamais lieu.


Bouchaib Elkorchi Hilale a indubitablement marqué son époque à Ouled Teima. Ce qui, selon son site officiel, revient à écrire qu'il a "su guider avec autant de tact que de compétence les Houara du Souss dans la voie du progrès et d’une modernisation particulièrement rapide", jusqu'à ce qu'en 1953, il soit nommé pacha de Casablanca, alors même que prenait fin le règne sanglant de Philippe Boniface, mauvais génie du Protectorat.


"Un système de répression"


Une image bien moins glorieuse du caïd Bouchaid Elkorchi est fournie par le blog d'une habitante anonyme d'Ouled Teima, qui se nomme elle-même Marokina.


Selon elle, le caïd du Protectorat a été "un tyran qui a gouverné Houara d'une main de fer" et qui aurait instauré "un système de répression" qui allait jusqu'à la torture, voire au meurtre.


Marokina raconte : "Dans chaque maison, il y avait toujours une taxe à payer. Celui qui avait une vache devait payer, un âne, une chèvre. Tout le monde payait. On enrôlait de force les gens pour labourer dans les terres du Protectorat ou celles du caïd Bouchaib. Il fallait venir de bonne heure avec tes deux bêtes, ta charrue, de quoi manger et boire pour la journée".


Et d'ajouter : "Pour que l’caïd Bouchaib ne soit pas lésé, il te fera surveiller par l’un de ses sbires qui sur son cheval circulera entre les laboureurs et assénera flagellation et coups toute la journée pour motiver la besogne". Bref, d'après Marokina, "longtemps après sa mort et la disparition du système qui le soutenait" le nom du caïd Bouchaib "terrorise encore les habitants d’Ouled Teima et de ses alentours".


J'ai laissé un message sur le blog de Marokina, afin de vérifier ses dires. Celle-ci ne m'a jamais répondu.


Selon des témoignages parus sur Facebook, Bouchaib Ben Elkorchi Hilale était aussi connu pour sélectionner des jolies filles et ordonner à leurs parents de les lui envoyer afin d'"assouvir ses caprices sexuels". Dès qu'il s'était lassé, il les renvoyait. Mais, déshonorées, elles n'étaient plus à même de rejoindre leur famille. Elles en étaient alors réduites à pratiquer la prostitution dans un bordel situé à Ouled Teima.


Le fief du banditisme

Il est généralement admis que le caïd Bouchaib Elkorchi Hilale (photo) fut un grand oppresseur, dont l'autorité faisait trembler les populations, mais qu'il combattait également la criminalité qui sévissait alors à Houara. Ouled Teima était connu pour être le fief du banditisme : voleurs de bétail, coupeurs de route et criminels en tous genres. Le caïd les a poursuivis d'une main de fer.


Bouchaib Elkorchi Hilale a malheureusement combattu de la même manière les nationalistes qui aspiraient à l'indépendance du Maroc. A Casablanca, ses hommes étaient connus pour leur agressivité et les atrocités qui leur sont attribuées. Il a de surcroît figuré parmi les pachas et les caïds de l'époque qui signèrent avec Thami El Glaoui, pacha de Marrakech et homme fort du pays, un manifeste demandant la destitution du sultan Mohammed V et son exil hors du Maroc, en août 1953. L'histoire leur donna tort.


Réfugié en France

Une chose est sûre : lors de l'indépendance, proclamée en 1956, Bouchaib Elkorchi se réfugia en France pour échapper aux éléments de l'Armée de libération nationale qui menaçaient de l'enlever pour l'assassiner, comme ils l'ont fait à l'égard de plusieurs agents des autorités du Protectorat.


A l'instar de ce qui se produisit pour ses confrères, ses biens furent confisqués par jugement prononcé en 1958. Cinq ans plus tard, il fut gracié, obtenant en dédommagement deux maisons situées dans le quartier de Talborjt, à Agadir. Selon les informations qui nous ont été communiquées, Bouchaib Elkorchi Hilale mourut en France en 1964 ou en 1965.


Par un de ces raccourcis dont l'histoire est coutumière, il se trouve qu'un de ses fils, Omar Hilale (photo), est l'actuel représentant permanent du Maroc aux Nations-Unies, à New York, dont il défend les intérêts avec pugnacité et succès. Jusqu'en 2014, ce diplomate de haut vol fut le représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies à Genève.


De l'hagiographie officielle ou de la dénonciation populaire, qui a raison? Merci de leurs informations à celles et ceux qui pourraient éclairer ma lanterne et celle de nos lecteurs !

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