Le contrôleur civil Philippe Boniface, directeur des affaires politiques, est considéré comme, et de loin, le plus sanguinaire des responsables français sous le Protectorat. Le voici, entouré d'un cercle, défilant à Azemmour, cité située au nord d'El Jadida, à proximité de l'actuelle station balnéaire de Mazagan, aux côtés d'Antoine Huré, qui fut notamment officier général commandant en chef.
En 1927, Philippe Boniface effectue une visite dans le Souss, en consacrant à Agadir son mémoire de stage. Il y constate que la tranquillité règne dans la région. Cette étude se caractérise par une recherche très fouillée des faits de l'époque. Il y observe par exemple ces femmes (notre photo) qui transportent l'eau de la fontaine originelle de Founti jusqu'à la Kasbah.
"Une position exorbitante"
Vingt ans plus tard, Boniface est devenu le contrôleur de la Région de Casablanca, un statut qui s'apparente à celui de préfet et qui consiste à coordonner les différents services de sécurité coloniaux et à superviser les activités des autorités marocaines. Ainsi que le relève Guillaume Denglos dans son ouvrage consacré au maréchal Juin, "Boniface est de toutes les équipes des résidents généraux successifs, et chacun lui fait franchir une marche". Selon cet auteur, Philippe Boniface finit par détenir "une position exorbitante (...) en contrôlant toutes les affaires du Maroc".
1947 : plusieurs centaines de morts
Son nom ne tardera pas à être lié, pour le pire, à plusieurs épisodes qui ensanglantèrent le Maroc, de 1947 à 1953. Philippe Boniface, dit son contemporain Charles-André Julien, ne concevait d'autre politique que celle de la force et n'hésitait pas à sortir de la légalité quand il estimait ces entorses nécessaires à l'efficacité de son action.
Des milliers de Marocains perdirent la vie en raison de sa politique. Ce fut le mauvais génie du Protectorat, à l'opposé de ce que fut Hubert Lyautey, l'homme éclairé qui aimait le Maroc et la dynastie alaouite. Boniface a au contraire voué une haine tenace au sultan Mohammed Ben Youssef, futur Mohammed V, ainsi qu'à l'Istiqlal, parti qui combattait pour l'indépendance.
Le 7 avril 1947, à Casablanca, encadré par des officiers français, les tirailleurs sénégalais ouvrent le feu sur des manifestants marocains désarmés. Ils font plus d'une centaine de victimes. La police commandée par le contrôleur Philippe Boniface n’intervient pour les désarmer que plusieurs heures plus tard. Encore qu'en l'absence d'archives le doute subsiste sur les causes réelles de ces tirs, beaucoup d'observateurs considèrent que Boniface fut l'instigateur de cette "provocation" sanglants, qui avait pour but de dissuader le sultan de se rendre à Tanger.
Ces événements dramatiques n'empêcheront pas le sultan de prononcer trois jours plus tard son fameux discours dans les jardins de la Mandoubia, à Tanger, réclamant l’indépendance du pays et le ralliement du Nord du Maroc au reste du sultanat. Ce discours provoque le limogeage, avec la contribution de Boniface, du résident Eirik Labonne, remplacé par le général Juin, qu'on voit sur la photo ci-dessous aux côtés de Philippe Boniface, identifié par un cercle.
En décembre 1952, toujours à Casablanca, ville gérée par le "potentat" Boniface, une grève générale décrétée par l'Union générale des syndicats marocains, en accord avec le parti de l'Istiqlal, se termine par un nouveau bain de sang, côté marocain. Des Européens sont aussi égorgés et décapités par les émeutiers.
Un "sultan fantoche"
Le 20 août 1953, le cycle de violences qui s'est développé culmine avec la déposition du sultan Mohammed Ben Youssef. L'oncle du sultan, Mohammed Ben Arafa, est placé sur le trône chérifien. Cet homme proche des 70 ans a l'allure d'un vieillard. Il est considéré comme un "sultan fantoche". Philippe Boniface participe en première ligne au coup de force des ultra-conservateurs, mené par le pacha de Marrakech Thami El Glaoui (à gauche sur notre photo, à droite Mohammed Ben Arafa). L'opération aboutit au contraire du but poursuivi : le prestige de Mohammed Ben Youssef ne fait que grandir au sein de la population marocaine.
Parallèlement, en dépit de l’utilisation de la violence et de la répression judiciaire, les autorités du Protectorat sont incapables de rétablir l’ordre. Le caïd qui régna d'une main de fer sur la région de Houara dont Ouled Teima est le centre, Bouchaïb Ben Elkorchi, devient pacha de Casablanca.
La sentence survient le 1er octobre 1953. Réputé pour avoir été le plus féroce parmi les ultras, Boniface doit quitter ses fonctions de contrôleur de la Région de Casablanca. Il a perdu la partie.
1955 : le triomphe de Mohammed Ben Youssef, futur Mohammed V
Les rancunes suscitées par Boniface sont tenaces. Le 10 mai 1955, il échappe de peu à un attentat, organisé en plein jour à Casablanca.
Quelle est alors l'activité de Philippe Boniface ? Ainsi que l'affirme encore Guillaume Denglos, c'est un "homme d'affaires avisé", il siège dans de nombreux conseils d'administration. Son patrimoine est devenu important.
Qu'importe : le 16 novembre 1955 marque le retour triomphal de Mohammed Ben Youssef, à Rabat, et le 7 mars 1956 celui-ci annonce l’indépendance du Maroc à son peuple.
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